Le papillon promenait paresseusement ses ailes mordorées sur le rebord de la fenêtre, montrant sur chacune une gros œil noir. Elle était revenue au lycée, se voyant d’au dessus, mâchonnant pensivement le bout de son crayon. De minuscule morceaux de bois et de gomme tombaient sur sa langue. La mine sentait bon le charbon. Le soleil sur son visage par la fenêtre invitait à l’évasion. Elle se demanda s’il était bien intelligent de faire un leurre sur ses ailes, vu qu’on ne pouvait pas voler après. La voix du professeur l’interrompit, lasse.

« Peut-on savoir à quoi vous pensez Mademoiselle Hawthorne ? »

Surprise, elle se vit se lever, remarqua les regards de ses collègues et leur décerna son plus beau sourire, débitant joyeusement la première chose qui lui passa par la tête.

« Je pense que Imrinn en pince pour Echna mais qu’il devrait plutôt se tourner vers Shanley, d’abord c’est réciproque, en plus elle est super mignonne et elle le fera moins tourner en bourrique. »

Ca faisait un moment qu’elle pensait ça, en y repensant. Echna n’était qu’une garce qui pensait que les tâches de rousseur étaient une tare qu’il fallait punir. Par chance pour le reste du monde, elle n’avait pas le charisme d’une reine de promo et à part son petit groupe d’ami et quelques garçons attirés par les beautés exotiques (sa mère venait d’une île aussi mais sous les tropiques) elle ne faisait pas trop de mal. Quant à Shanley, elle ne la connaissait pas plus que ça mais c’était une bonne élève sans être une bêcheuse, intelligente et pas prise de tête. Et puis Imrinn…et bien Imrinn n’avait qu’à être plus discret et le monde entier ne serait pas au courant du moindre de ses coups de tête. Elle sentit des regards peu amène. Bon. Peut-être qu’elle n’aurait pas du dire tout ça à voix haute, mais voilà, c’était dit, et puis c’était la faute du prof qui l’avait tiré de ses réflexions. Elle n’allait tout de même pas dire qu’elle se demandait comment chasser le papillon et faire le mur. Ca, elle avait comprit que ça ne se disait pas. Elle soupira, en parfait écho du Professeur. Maintenant qu’elle y repensait, elle n’avait pas eu celui-ci au lycée. Par contre, ça ressemblait vachement à son prof de primaire. Celui qui voulait qu’elle aille voir un psy pour canaliser ses crises de colère de quand on lui avait retiré sa sœur. Même qu’elle avait mordu un gamin un soir après l’étude. Elle ne se souvenait plus de la raison mais c’était sûr, il l’avait cherché d’abord.

Les parents avaient été chouettes. Ils l’étaient souvent. Ils ne s’étaient pas inquiétés, ils ne l’avaient pas grondés, ils l’avaient juste inscrite à trois cours de sport du soir plus le chant, plus la danse deux fois par semaine. Plus d’étude donc mais du sport et de l’amusement garanti. Avec des jours de relâche autour de la pleine lune. Après tout, même si elle ne s’était encore jamais transformée, elle était sûrement lycane. Ses parents ne l’étaient-ils pas tous les deux ? Le cours devint tout flou. Le papillon s’envola dans la brise, se laissant porter tandis que, comme dans la chanson de Prévert, la salle de classe se transforma en prairie et elle en sa forme louve. Elle mit son nez dans le courant et renifla toutes les bonnes choses que le vent lui apportait. Des tas et des tas d’odeurs que son cerveau lupin analysait tellement mieux. Elle courut après sa queue, se roula dans le gazon frais, inconsciente des fleurs emportées dans son sillage. Et puis le ciel se couvrit, il se mit à pleuvoir. Des gouttes apparurent sur sa fourrure claire, l’alourdissant, elle s’ébroua, trempant le journal de Lalpha qui était apparu comme ça, sans raison.

C’était vraiment une journée décousue.

Elle envoya un jappement d’excuse. Il refit beau. Le monde était à elle. Comme il avait bien failli ne jamais l’être. Comme elle l’appréciait tous les jours depuis sa première transformation.

Elle avait quatorze ans. Bon. Elle n’avait pas tout à fait quatorze ans encore, mais c’était tout proche et tant mieux disait sa mère car elle devenait insupportable. Elle aurait voulu l’y voir tiens ! Déjà, elle se sentait en colère, tout le temps et contre tout. Les profs était cons, les garçons étaient cons, les parents ne comprenaient rien à rien, elle était différente des autres, personne ne l’aimait et en plus, elle ne s’était toujours pas transformée alors que sa sœur faisait la maligne là avec ses poils depuis beaucoup trop longtemps. Et puis elle était moche. Elle voulait plus de poitrine. Et c’était quoi ces hanches de garçon qu’elle avait. A tous les coups, elle avait été adoptée et on voulait pas lui dire genre qu’elle était trop petite et elle ne deviendrait jamais lycane et elle haïssait tout le monde, sauf sa sœur même si un peu quand même. Personne ne la comprenait de toute façon, sauf ses chanteurs du moment qui, elle en était sûre, avaient mis des paroles exprès pour elle dans leurs chansons. En tout cas, elle le ressentait comme ça. Une période sombre. Comme la nuit et la neige qui tombait dehors. La louve avait froid et chercha Finkhald des yeux. Mais il avait disparu et seul restait son sempiternel journal, qu’elle détruisit pour se réchauffer avant de se rouler en boule avec un gémissement. Elle voulait sa sœur. A défaut, elle voulait dormir et rêver de lapins mais elle n’était pas certaine que l’on puisse rêver dans un rêve. Le décor changea encore, sautant sa première transformation, celle dont la douleur était comme une seconde naissance et où le monde redevint joyeux. Elle rouvrit les yeux, en louve, assise sur un des bancs de l’université de Galway.

En même temps, à Kinske, à part la Meute des Loup-Garous Pêcheurs et les humains repeigneurs de façade, et les touristes de l’été, il n’y avait pas grand monde. Le professeur était une femme de son village natal et enseignait à des bûcheurs sans intérêt le meilleur moyen d’écailler le poisson. Cela la fit rire et à nouveau, tous les visages se tournèrent vers elle. Evidemment elle était nue, les parties à cacher dissimulées derrières des papillons. Elle toucha le bout de leurs ailes, se demandant qui les avait envoyés. Sûrement sa sœur. Depuis qu’elles s’étaient rejointes à l’université, elles faisaient souvent le mur ensemble. Elles le faisaient au lycée aussi, sauf les cours de danse et de chant parce que c’était important de se défouler. Important de ne mordre personne, surtout pas à la pleine lune. Important de ne jamais se mettre en colère. Ils en avaient de bonne. Heureusement qu’elle avait un caractère à rire et pas à s’emporter. Elle se demanda comment sa sœur faisait, elle qui était si protectrice. Elle l’avait pensé souvent. Mais elle avait toujours oublié de le lui demander. Elle était comme ça, Siwan. Elle oubliait facilement les trucs. Comme cette fois à Londres, lors du « Voyage scolaire » qui n’était là que pour les angliciser un peu plus. Bon. Elle avait suivi une odeur de cuir pour se trouver des Doc’s à moindre coût et pof, elle avait oublié le groupe et ils s’étaient perdus ou égarés ou elle ne savait pas trop puisque c’était sa sœur qui guidait, juste que c’était là qu’ils avaient rencontré un autre loup, un loup à l’odeur bizarre, pas celle de poisson fumé de chez elle, ni celle d’encre brûlée à l’herbe de l’Univ mais avec une odeur d’autorité. Comme l’Alpha de Kinske mais sans accident de chasse pour le faire boiter. Et il était plus jeune aussi, même s’il était vieux à sa manière. Au moins tout ça, presqu’un prof mais alors un de ceux sympa. Il avait des boucles marron. Elle était redevenue gamine, dans les vêtements tout terrain que lui donnaient sa mère à l’époque. Jeans déchirés et T-shirts large. Maintenant qu’elle pouvait choisir ce qu’elle mettait, elle changeait souvent de style mais c’était nettement plus moulant, courts ou jolis. A l’époque elle était en garçonne. Cheveux courts en bataille. Genoux tous moches. Elle avait longtemps complexé sur ses genoux.

En cours d’histoire du Collège, c’était sa sœur qui faisait la prof, racontant les diverses invasions anglaises et les batailles et les héros. Sauf que ce n’était pas la voix de sa sœur et elle parlait une langue vraiment chiante. Fin était là aussi. Il lui sembla qu’il serait là à tous ses rêves maintenant, à poser des questions avec son accent français bizarre. Il disait qu’il était Suisse. Tout ce qu’elle savait de la Suisse c’est qu’ils mangeaient du Fromage au Chocolat. Berk. Là, il était jeune et il était à croquer. Ses amples chemises médiévales étaient toutes en plaquettes, et pourtant ne fondaient pas au soleil. Elle sourit à sa sœur qui lui fit un signe des pouces. Bêtement, elle regarda en l’air. Des milliers de papillons mordorés s’étaient perchés au plafond. Ils s’envolèrent en même temps tandis qu’elle ouvrait les yeux sur sa sœur et le roulis de la caravane au petit matin.

Elle était Siwan. Elle était louve, majeure depuis peu, en retard dans ses vaccinations. Elle était la chanteuse dans un groupe de musique trop classe, avec sa meute, composée de Finkhald, un type rencontré à Londres, et de sa sœur, la meilleure sœur de tous les temps. Elle avait oublié l’université, les cours d’arts et de lettres pour courir le monde. Elle était louve. Elle était libre. Elle était heureuse. Elle sourit à sa sœur. Quelqu’un avait fait cuire des œufs et du bacon.

Non, non tu ne rêves pas! Tu as bel et bien été validé par un des membres de notre staff. Tout d'abord félicitations!


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