Ivy se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, les yeux fermés, la tête vers l’arrière. Elle était épuisée. Heureusement qu’elle aimait son job. Parce que faire des journées de douze-treize heures… Bon, ce n’était pas tous les jours ainsi. Mais c’était assez fréquent. Ce qui ne la dérangeait pas outre mesure puisqu’elle n’avait quand même pas de famille l’attendant à la maison. Enfin, il y avait Savannah, mais ce n’était pas pareil. Soulevant une paupière, elle regarda l’horloge. 23h20. La vache ! Elle n’avait pas vu le temps passer ! Et son patron qui était toujours dans son bureau ! Enfin, elle avait fini ce qu’elle avait à faire. Alors elle rangea son sac, se leva et frappa deux coups à la porte, même si elle se doutait qu’il l’avait déjà entendue arriver, avec son ouïe de vampire. Elle lui signifia son départ, lui sourit, et se dirigea vers les ascenseurs. Roh, ce qu’il lui tardait d’ôter ses escarpins ! Elle avait un look d’enfer avec mais elle avait les pieds en compote à force. Elle sourit, néanmoins. Car en tailleur, avec une jupe qui lui arrivait aux genoux, cintrée, et la veste assortie, et ces talons… Elle savait qu’elle était particulièrement séduisante. Mais professionnelle, évidement. Dès que les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, elle se précipita dans le hall de l’immeuble, salua le gardien qui fit de l’humour en rappelant qu’elle travaillait vraiment trop, puis sortit dans la rue. Une fine pluie tombait, comme souvent à Dublin. Malheureusement, elle avait oublié son parapluie au QG ce matin-là. Et sa voiture était garée à plusieurs mètres de là ! Elle soupira. Mais elle n’avait pas le choix. Elle croisa les bras sous sa poitrine pour garder sa veste fermée et avança, tête baissée.

Jusqu’à heurter le torse d’un homme. Plus grand qu’elle de bien deux-trois têtes. Elle fit un pas de recul, leva la tête, honteuse, prête à s’excuser. Mais le sourire sadique de son vis-à-vis lui noua la gorge. Il regarda à gauche, à droite puis posa une main sur la bouche d’Ivy et l’attira dans la ruelle qui se trouvait juste à côté d’eux. Elle se débattait, essayait de crier. Mais rien n’y fit. Pas encore ! Ce fut une des pensées qui lui passèrent en tête. Un peu après son arrivée à Dublin, elle avait déjà failli être agressée. Heureusement, Adrian passait par là. Mais ce soir… Son rythme cardiaque ne cessait d’accélérer. Elle essayait de lui détacher la main pour pouvoir crier, ou le mordre. Elle avait laissé tomber son sac à l’entrée de la ruelle pour se libérer les mains. Mais il était costaud ! Elle essaya de lui donner des coups de pied aussi. Et le heurta, d’un de ses talons. Mais la seule chose qu’elle obtint, ce fut une belle gifle qui la projeta au sol. Se transformer. Il fallait qu’elle se transforme. La louve pourrait se défendre. Mais il lui attrapa une cheville, la déconcentrant. Elle n’avait pas encore l’habitude de sa nouvelle nature et avait parfois quelques difficultés à décider de ses transformations. Et si la plupart des nouveaux loups avait du mal à ne pas se transformer, elle, c’était l’inverse. Il s’était mis à genoux entre ses jambes. Et elle savait ce qu’il avait en tête. Elle essaya de se relever pour courir mais il l’en empêcha. Cela dit, il avait été obligé de laisser la bouche d’Ivy libre. Alors elle n’allait pas se gêner. Elle se mit à crier. En espérant qu’une personne passerait par miracle par là et lui viendrait en aide. Il la gifla. Mais le mal était fait. Elle avait crié. « Bien essayé, mais ça ne changera rien. Il n’y a personne. » Il attrapa les pans du chemisier de la jeune lycane et tira, faisant sauter les boutons et révélant sa peau pâle et son soutien-gorge de dentelle chaire. Non. Se concentrer. Il fallait qu’elle se concentre.

Mais à cet instant précis, une main se posa sur l’épaule de son agresseur, pour la plus grande surprise mais le plus grand soulagement de la jeune femme.

Ok, le destin avait vraiment dû décider qu’elle en avait vécu assez, pendant les dix-huit premières années de sa vie, pour mettre des sauveurs à chaque coin de rue ! Sean, Savannah, Adrian, Rohan et maintenant cet inconnu. Comme il frappait son agresseur, le repoussant sur le côté, elle se recula automatiquement. Comme son sauveur lui demandait si ça allait, elle acquiesça, son dos à présent contre l’un des murs de la ruelle, ses mains gardant fermé son chemisier arraché. Mais, elle le savait et n’en fut donc pas particulièrement étonnée, le salopard était fort et ce n’était pas un coup de poing, même puissant comme il semblait l’avoir été, qui allait le terrasser. Alors elle reçut l’ordre de courir. Elle se releva tant bien que mal, faillit retomber mais parvint à courir, finalement, deux-trois mètres.

« T’as pas honte de t’attaquer à une jeune femme comme ça ! T’es pas capable de trouver un adversaire à ta taille !? »

A ces mots elle se retourna pour observer la scène. Juste à temps pour voir son Sauveur se prendre un premier coup dans le ventre, puis un second. Il lui avait dit de partir mais… Elle ne pouvait pas… le laisser ainsi, si ? Elle se mordit la lèvre. Elle ressentait le devoir de l’aider mais elle ne pouvait rien sous cette forme ! Or, elle ne pouvait quand même pas se transformer dans cette ruelle et exposer sa véritable nature à l’inconnu ! Puis quoi ? Effrayer son agresseur pour qu’il parte en courant ? Quel dilemme ! Et les deux hommes qui continuaient de se taper dessus ! Tremblante, toujours incertaine de ce qu’elle faisait, elle ôta son chemisier et sa jupe, les cacha vite fait dans un coin, heureuse que les hommes soient trop occupés à se battre que pour lui porter la moindre attention, et se concentra pour se transformer.

Une minute plus tard, s’étant avancée à pas de loup vers eux, elle émit un grondement sourd, son provenant de la gorge d’une belle louve, jeune, aux yeux d’un bleu très clair. Montrant les crocs, elle se mit à tourner autour des deux hommes, espérant les séparer suffisamment que pour s’occuper, gentiment, de son agresseur. Elle fit un mouvement brusque dans la direction des deux hommes qui reculèrent instinctivement. Et elle obtint l’effet escompté. Délaissant son Sauveur, ne lui prêtant plus aucune attention, elle se rapprocha du premier homme, grogna encore, et finalement lui laissa un seul chemin possible : la fuite. Comme il commençait à courir vers l’entrée, elle fit semblant de lui courir après. Mais dès qu’il eut tourné dans la rue principale, quittant définitivement la ruelle sombre dans laquelle il avait entrainé Ivy, la louve cessa de courir. Cela dit, peut-être aurait-elle dû partir à son tour car maintenant, elle se retrouvait avec son Sauveur. Seuls. Merde. Mais il n’y avait plus de danger. C’était du moins ce que la louve ressentait. A moins que… Elle se tourna doucement vers l’autre homme, le jaugeant, l’évaluant. Doucement, ne grognant plus, elle s’approcha en longeant bien le mur pour lui offrir la possibilité de partir. Et inconsciemment, elle se retrouva près des vêtements qu’elle avait cachés un peu plus tôt, mais qui ne l’étaient pas si bien, cachés.

« Merci. Grace à toi une jeune fille ne sera pas agressée ou pire ce soir. On fait une bonne équipe ! »

La louve ne bougeait plus, n’avançait plus. L’homme s’était pris quelques coups dont un par sa faute. Mais son agresseur était parti maintenant, c’était déjà ça. Sauf qu’il fallait maintenant que celui-ci se barre. Sinon Ivy ne pourrait pas se retransformer et se rhabiller… Puis un loup dans Dublin… Ce n’était pas une bonne idée. Surtout avec tous les primes qui trainaient dans la région. Elle était donc coincée ici. Jusqu’à ce qu’il parte. Peut-être… Peut-être devrait-elle lui faire peur pour qu’il parte comme l’autre ?

Comme il s’avançait vers elle, la louve se mit à reculer. Certes, elle n’avait pas le sentiment d’être en danger. Mais… Elle ne voulait pas non plus qu’il l’approche de trop près. Elle ne le connaissait pas, après tout, même s’il était venu en aide à Ivy, elle préférait ne pas prendre de risques. Sauf qu’elle en avait pris, en laissant ses vêtements là. Car son pied les accrocha. Comme il se penchait pour voir de quoi il s’agissait, la louve recula un peu plus. Oh non. Ce n’était pas bon, ça. Elle se mit à grogner. Mais le mal était fait. Il avait déplié les vêtements. Et s’il avait fait un minimum attention à ce que la demoiselle qu’il était venu aider portait, il allait… Se demander ce que ses vêtements faisaient là. Tant pis, elle ne pouvait pas rester. Elle recula encore de quelques pas puis pensa à se tourner pour fuir en courant. Mais tourner le dos à l’ennemi n’est jamais une bonne idée. Enfin, ennemi, c’était vite dit. Peut-être n’allait-il pas faire le lien entre les vêtements et le loup qu’il avait devant lui… Espérons. Mais si c’était un prime… Non, ça serait trop… Si c’était un prime, c’était définitif, elle n’avait pas de chance. Quand il lui sembla qu’il la regardait différemment, la louve se sentit en danger. Et du coup, elle se retourna pour se mettre à courir. Son sac. Merde. Il y avait sa carte d’identité à l’intérieur. Alors elle s’arrêta de courir. Et refit demi-tour. Elle approcha doucement de l’homme et de ses affaires puis, comme il ne bougeait pas, elle se remit à grogner. Oh, elle ne comptait pas lui faire de mal mais… Il fallait qu’il recule pour qu’elle puisse récupérer ses affaires.

Bon sang, dans quel merdier elle s’était encore fourrée… A croire qu’elle attirait les ennuis. Son beau-père. Puis le premier gars… Heureusement, Adrian était dans les parages. Puis ce soir… Merde. Il lui demandait si tout allait bien. Il parlait à un loup… Il devait savoir. Il devait savoir que les lycans existaient, et il devait penser – à raison – qu’il se trouvait face à l’un d’eux. Elle devait partir. Et elle commença à partir, quand il découvrit ses vêtements. Il lui héla d’attendre. Mais elle n’allait pas attendre. Si c’était un prime, elle était en danger, elle devait fuir et vite pour qu’il ne puisse pas… Merde. Son sac. La louve s’arrêta et poussa un gémissement plaintif, plein de douleur. Elle se retourna, sur ses gardes, et se remit à avancer. Doucement, très doucement. Elle s’arrêta à quelques mètres de l’homme. Son pelage était bien mouillé maintenant avec cette pluie qui ne s’arrêtait pas. Ses vêtements, qu’il tenait dans une main, semblaient aussi imbibés qu’elle. Tant pis pour les vêtements. Tout ce qui comptait, c’était son sac. Mais il n’était pas accessible. L’homme était juste à côté. Elle ne pouvait pas aller le prendre et… Alors elle grogna. Doucement. Elle ne voulait pas non plus qu’il ait trop peur d’elle. S’il était armé… Bon, elle ne savait pas s’il était armé mais… Il recula. Il jeta aussi ses vêtements un peu plus loin. Bah bravo… Mais de toute manière, ce n’était pas le plus important. Il ne lui voulait pas de mal ? Il ne dirait rien ? Ce n’était pas parce qu’il avait sauvé une jeune femme en danger des mains d’un détraqué sexuel qu’elle pouvait lui faire confiance quand il s’agissait de son secret. Pourtant, quand il lui tourna les dos pour s’enfoncer un peu plus dans la ruelle, elle fut étonnée. Il tournait le dos à un loup ? Sérieusement ? Lentement, craignant tout de même un piège, elle s’avança, à pas de loup – haha. Elle arriva à hauteur de son sac. Mais elle hésita. Non. Elle n’avait aucune raison d’hésiter. Ce n’était pas parce qu’il semblait sincère que… Elle devait partir. Même si elle n’avait pas eu l’occasion de le remercier d’être intervenu. Elle attrapa son sac dans sa gueule et partit, espérant ne croiser personne. Car un loup, avec un sac, à Dublin…

Cela dit, elle n’avait pas vu son portefeuille tomber. Portefeuille dans lequel se trouvait sa carte d’identité. Avec l’adresse du QG.

QG auquel elle arriva de longues minutes plus tard. Dans le jardin, elle se retransforma. Puis entra, nue, et frigorifiée. Une bonne douche lui ferait du bien.

Deux choses: